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Le travail
domestique
le privé
est politique... et économique
La problématique
du travail domestique est fondamentale. En, effet, si la double
journée des femmes salariées est, on le verra,
une réalité, c'est aussi un des facteurs-clés
qui motive le retour au foyer de certaines femmes et l'abandon
de leur vie professionnelle, notamment avec l'arrivée
d'enfants. Il est symptomatique que cette question ne se pose
quasiment jamais pour les hommes, dont la tâche prioritaire
reste le travail professionnel.
La responsabilité
ainsi imposée aux femmes en matière de gestion
du ménage sert en retour aux patrons à justifier
d'un salaire moindre et le temps partiel pour les femmes en raison
de leur moins grande disponibilité.
Le déséquilibre
reste tout autant important dans la répartition des tâches
domestiques. Selon l'INSEE, en 1986, un homme actif consacre
en moyenne 45h par semaine (transports compris) pour le travail
professionnel et seulement 20h par semaine au travail domestique
(ménage, courses, enfants, factures). Soit un total de
65h par semaine. Pour une femme active, la répartition
est de 36h par semaine en moyenne pour chaque, soit un total
de 72h. Le plus significatif concerne les inactifs : un homme
sans emploi consacre 27h40 par semaine à la maison. Un
femme sans emploi y consacre 44h par semaine ! Le chômage
et les vacances n'existent donc pas pour les femmes.
Gratuité
du travail domestique
Mais le caractère
fondamental du travail domestique, ce n'est pas qu'il est fait
à la maison, c'est qu'il est gratuit ! Et c'est au mouvement
féministe qu'il revient d'avoir le premier analysé
en termes économiques ce caractère gratuit du travail
domestique, travail accompli pour l'essentiel par les femmes.
Bien avant les années soixante, les femmes ont toujours
travaillé. Et pas toujours à la maison. Ce fut
le cas dans l'agriculture, où la production familiale
a toujours été faite avec la participation des
femmes. Par ailleurs, on estime qu'elles ont toujours représenté
entre le quart et le tiers du salariat. Ce qu'elles n'ont jamais
maîtrisé, encore moins que les prolétaires,
c'est l'attribution d'une valeur à leur travail, en particulier
celui effectué pour le compte de leur mari et de leur
famille.
Le travail
ménager a pourtant une valeur économique bien réelle,
au même titre que n'importe quelle autre production. Mais
cette valeur échappe aux femmes. Par exemple, si la plupart
des ménages préfère acheter de la nourriture
brute, non cuisinée, c'est qu'elle est moins chère.
Le travail nécessaire pour la cuisiner chez soi est considéré
comme gratuit. Le fait est que ce sont encore les femmes qui,
majoritairement, accomplissent cette production. Elles sont donc
volées de la valeur de leur travail, valeur représentée
très exactement par l'écart de prix entre la nourriture
brute et la nourriture cuisinée que l'on trouve dans le
commerce.
Cette spoliation
de la valeur du travail des femmes ne pouvait pas être
sans conséquence après leur entrée massive
dans le salariat : si le travail des femmes à la maison
ne vaut littéralement rien, pourquoi le travail qu'elles
effectueraient à l'extérieur vaudrait-il quelque-chose
? La non-valorisation du travail des femmes a donc tendance à
se transmettre et se perpétuer au salariat, par des salaires
moindres, on l'a vu, et par la dévalorisation des métiers
où elles sont cantonnées (secrétariat, nettoyage,
enfance, soins, services personnels). On retrouve d'ailleurs
dans ces branches du salariat une autre catégorie de personnes
opprimées : les étrangers.
Dès
lors, entre une société où les femmes sont
condamnées à être enfermées à
la maison pour effectuer gratuitement le travail domestique,
et une société où le nettoyage est pris
en charge par des bonnes ou des sociétés de nettoyage
(employant majoritairement des femmes sous-payées), la
petite enfance par des crèches (et donc des femmes sous
payées) et des écoles primaires (idem), pendant
que les hommes se font servir le café par leur secrétaire
(femme...), la différence n'est pas une différence
de nature, mais une différence de degré.
Bertrand
DEKONINCK
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